La mode attendait de stiletto ferme les collections prêt-à-porter des nouveaux directeurs de création de Dior, Saint Laurent, et Lanvin. A l’issue de leurs premiers défilés, Shoelifer fait le bilan.
Maria Grazia Chiuri chez Dior après des mois de suspense, Anthony Vaccarello chez Saint Laurent sans Yves et sans Hedi, et enfin Bouchra Jarrar chez Lanvin, c’était assez pour exciter la fashion sphère. Ces nominations, polémiques pour certaines, enthousiasmantes pour d’autres, ont posé les jalons d’une nouvelle façon pour les maisons de (re)susciter l’intérêt (commercial) du public. Certes, ce sont tous les trois des designers talentueux, sans nul doute. Mais qui, au regard de leurs travaux précédents se révèlent assez opposés à la direction artistique observée jusque alors dans chacune de ces maisons mythiques. A l’exception peut-être de Maria Grazia Chiuri, dont le romantisme délicat chez Valentino était plutôt en accord avec l’ADN originel de Dior bien qu’en rupture avec le modernisme de Raf Simmons. Une politique de changement probablement inspirée par le succès de la démarche de Gucci, et un vent de jeunisme. Mais est-il vraiment rafraîchissant ?
Anthony Vaccarello chez Saint Laurent : la déception
Ici, il faudrait plutôt parler d’un courant d’air glaçant. Pour Shoelifer, la collection est cohérente avec l’univers d’Anthony Vaccarello, digne héritier d’une Donatella Versace ou même d’un Tom Ford, qui abordent la femme avec une sensualité agressive, mais si éloignée de la grâce de Saint Laurent. S’il ressuscite le Y comme le souligne la critique de mode Cathy Horyn, l’esprit d’Yves –déjà guillotiné par le grunge d’Hedi Slimane– a été enterré par Anthony Vaccarello. Est-ce une volonté délibérée du groupe Kering détenteur de Gucci ? La collection aux accents 80’s tente les réincarnations faussement modernisées de coupes emblématiques de la maison (le smoking par exemple). Le cuir, le léopard et le jean construisent une ligne aux allures de cousine de Balmain ou Isabel Marant.
Certes, c’est portable, actuel, contemporain, séduisant et probablement commercial. Mais si peu créatif, si peu fidèle à l’aura d’Yves Saint Laurent, cet avant-gardiste de l’élégance. Hedi Slimane confondait provoc’ et modernité, subversion et destruction, Anthony Vaccarello se mélange aussi les crayons en tentant une réinvention. Il ne suffit pas de distiller quelques codes grossièrement modifiés pour convoquer l’esprit du couturier historique et rendre Yves à Saint Laurent.
Est-ce une erreur d’attendre qu’Yves revienne ? Yves symbolise une femme frondeuse, en avance sur son temps, d’un raffinement inégalé et inattendu, même dans la revendication. Une désinvolture tellement française. Ici, même si l’on reconnaît le travail bluffant sur les manches et les encolures, Vaccarello vulgarise la femme Saint Laurent que Slimane avait transformée en gamine tatouée en bas résille.
Maria Grazia Churi chez Dior : la surprise
Les rumeurs les plus folles enflaient avant que le nom de Maria Grazia Chiuri ne soit dévoilé. En tandem avec Pierpaolo Piccioli chez Valentino, elle a imposé une légèreté précieuse, véritable fil rouge tout au long des collections, rencontrant l’engouement des modeux. On s’attendait donc à du romantisme sur le podium de Dior. Maria Grazia Chiuri prend le parti pris de surprendre son public. D’entrée de jeu, pas de jeunes filles en fleurs mais bien un uniforme entre le minimalisme et l’aérien, pour un oxymore textile alliant vaporeux et structuré. Du blanc, du noir, du rouge, et des teintes pastels en fin de défilé avec le retour du logo, du slogan, noir sur blanc « Christian Dior, j’adior », cher aux années 90 qui voyaient Calvin Klein s’étaler sur des élastiques et bretelles. Un féminisme scandé sur des tee-shirts basiques « We should all be feminists » associé à des jupons de danseuses urbaines, des armures qui suggèrent le cannage iconique. Et des clins d’œil à l’histoire de la maison, marquée par les passages des différents prédécesseurs, dont le fondateur éponyme, qui n’y a somme toute passé que dix ans.
Maria Grazia Chiuri plonge Dior dans le moderne, mais pas dans le futur. Plutôt dans l’instant, dans l’urgence de dompter l’aujourd’hui, entre le pratique et le gracieux, le fragile et le rigide, la douceur et la fermeté. Foncièrement actuel. Et pour la suite ? Maria Grazia Chiuri – contrairement à son prédécesseur Raf Simons – connaît l’exercice de la Haute Couture, celui où on l’attend vraiment au tournant. La dextérité remarquée chez Valentino était déjà perceptible, dans ce premier défilé, sur les broderies… Il lui reste donc le sacre ultime, celui de la Couture, pour que l’on imprime le slogan « Chiuri, c’est du (très) joli ».
Bouchra Jarrar chez Lanvin : passage de flambeau
Difficile de faire oublier l’empreinte d’Alber Elbaz, dont le nom semble synonyme de Lanvin au point qu’il a peut-être évincé celui de Jeanne Lanvin elle-même, à part pour les centenaires. Comment surpasser le génie de l’allure d’Elbaz ? Comment produire une nouvelle silhouette sans faire regretter l’ancienne ? Shoelifer avait peur de ce défilé, de cette trahison probable. Shoelifer a eu tort. Bouchra Jarrar s’en sort avec les honneurs. Du minimalisme précis – et souvent attendu – de son prêt-à-porter si portable, elle a tiré les meilleures leçons pour créer le vestiaire de la femme Lanvin telle qu’Alber Elbaz l’avait définie. Elle la bouscule, mais avec doigté, avec respect, pour la projeter dans un univers plus sobre. Des coupes du quotidien, des perfectos sans manches, des pantalons de ville, et des robes qui valsent, odes à une pureté gracile. La transition est opérée avec brio, on décèle la patte de Bouchra Jarrar, chantre des silhouettes sans fioritures, sur une collection qui mêle féminité altière, simplicité des coupes, superpositions inventives et éthérées et pièces résolument indispensables. Des classiques aux détails précieux et soignés, comme des plumes ou de la dentelle. Une reprise de flambeau sans heurts.