Ils sont sur toutes les lèvres. Labels, collectifs, créateurs, ces nouveaux noms abordent la mode d’une manière novatrice. Décryptage des acteurs d’une révolution mode.
Car oui, ces jeunes créateurs sont révolutionnaires. Soit parce qu’ils repensent la mode dans son fondement même, soit parce qu’ils rendent le prêt-à-porter de luxe accessible et ultra-désirable via une démarche de démocratisation. Surtout, ils bouleversent l’ordre établi. Qu’ils rendent les défilés –si exclusifs– publics ou encore qu’ils modifient le rythme des collections, ils ne se contentent pas de proposer des vêtements, mais essaient d’imprimer un changement plus profond. Finalement, côté esthétique, il nous en faut désormais beaucoup pour être bluffés, entre sempiternels revival des années 70 ou pièces conceptuelles mais importables. Ceux-là ont choisi de recréer la mode en balayant les conventions et se font remarquer.
Au commencement, il y avait Vêtements
Impossible d’analyser ce phénomène sans évoquer celui qui a rendu ces nouveaux labels désirables et surtout créé un phénomène autour d’une nouvelle mode au sens étymologique, Vêtements. Demna Gvasalia et ses compères lancent le collectif Vêtements en 2014, avec une vraie volonté d’anonymat. A contre-courant de la course à la e-célébrité, ces sept créateurs issus de la Maison Martin Margiela, défendent une approche underground. Comme un nouveau souffle, un nouveau « Six d’Anvers », ils présentent leurs collections dans des endroits inattendus : en mars 2015, c’est dans un club gay du Marais parisien par exemple. On retrouve la même volonté de sobriété dans le nom du label. Il s’agit de remettre le vêtement au cœur de la démarche, et non le(s) créateur(s). Un collectif iconoclaste qui s’emploie à torpiller les postulats mode en osant des mélanges saugrenus, entre recyclage de pièces vintage, design couture, provocation et lignes architecturées.
Résultat ? Pas une fashion week sans que l’on ne parle de ce label qui a su s’imposer comme le plus actuel, le plus révélateur des envies et des aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui. Une jeunesse qui n’a cure des conventions de l’élégance, qui a l’audace de confronter tee-shirt de friperie et jupe griffée, une jeunesse métissée mais aussi désabusée, lasse d’être prise pour cible par le marketing car assez lucide pour s’en rendre compte. Vêtements innove aussi et surtout par cette revendication d’un nouveau calendrier. Face à l’abondance on privilégie la rareté : en diminuant la production, réduisant le nombre de collections, on fait renaître le désir. A l’opposé des pratiques des grandes maisons qui, ces dernières années, font valser collections, pré-collections, éditions limitées, collaborations et collections capsules.
Vêtements pourrait ainsi réinventer le luxe. Surtout que plusieurs autres labels participent de cette nébuleuse dynamique qui bouleverse l’industrie et questionne les stratégies des grands groupes. Ces derniers voient émerger aux côtés de maisons mythiques des marques qui suscitent un véritable engouement auprès du public, chacun agissant sur un nouveau levier. Qui sont-ils ? Trombinoscope.
1 – Koché
Qui ? Lancé en 2014, Koché a le vent en poupe avec des participations remarquées aux prix de l’ANDAM (Association nationale pour le développement des arts de la mode) et LVMH. Derrière ce label parisien, Christelle Kocher. Amoureuse d’artisanat, elle a fait ses classes à la Central Saint Martins de Londres avant de s’exercer chez Giorgio Armani, Chloé, Sonia Rykiel, Bottega Veneta, Dries Van Noten et Martine Sitbon. De chaque passage, elle retient l’essentiel pour nourrir sa démarche basée sur la réinvention des métiers d’arts de la mode qu’elle expérimente notamment auprès de la maison Lemarié –propriété de Chanel– spécialisée dans les broderies : elle en est la directrice artistique depuis 2010.
Qu’est-ce que ça change ? Koché perturbe pour deux raisons. La première c’est cette tendance –antinomique par essence– à rendre la mode populaire. Koché défile ainsi au Forum des Halles, poussant l’élitisme dans ses retranchements, obligeant « les gens de la mode » à se mélanger aux « gens». Koché c’est aussi cette nouvelle couture, insuffler dans le prêt à porter des traditions de la Haute Couture qui sont devenues obsolètes par la force des impératifs commerciaux. Multiculturel, Koché s’inspire de partout, de l’Asie aux ateliers français pour un éclectisme sans étiquette, un luxe rafraîchi, tout sauf figé. Mixant allégrement techniques traditionnelles et vision moderne, Koché parvient à esquisser une mode urbaine aux détails couture, qui ne serait plus enfermée dans de précieux écrins mais offerte à l’appréciation de tous. La couture démocratique.
2 – Y/Project
Qui ? Le Belge Glenn Martens prend les rênes d’Y/Project en 2013, à la disparition de son fondateur Yohan Serfaty, après une expérience chez Jean Paul Gaultier et une place de premier assistant au sein du label. D’une marque exclusivement masculine à l’esthétique dark, Martens passe à une interprétation plus libre de la mode urbaine en s’essayant également au vestiaire féminin qu’il transcende. Il dépoussière, il décomplexe. Sa mode est mixte, sa mode mixe les influences en entrechoquant les références, en plein dans l’air du temps.
Qu’est-ce que ça change ? L’idée d’une mode sans genre fait son chemin. Y/Project en est l’un des fervents défenseurs et fait figure de pionnier. Une expérimentation du vêtement dans laquelle la coupe prévaut plutôt que le genre, et qui fait de Y/Project l’un des favoris du prix LVMH 2016. La mode est appréhendée sans barrière. Peu importe si c’est élégant, féminin, si cela va ensemble. On arrête de faire genre.
3 – Hood by Air
Qui ? Depuis 2013, Shayne Oliver secoue New York. Complètement subversif, le label démarre en 2006 quand le créateur new-yorkais se lance dans le commerce de simples tee-shirts sur lesquels est inscrit le mot « hood ». C’est le crédo de Hood by Air, du cool, beaucoup de dégaine, et un parcours en dents de scie. De 2009 à 2012, la marque se fait discrète, Shayne Oliver préférant les platines. Inspiré par l’inconscient collectif, Hood by Air se met à détourner des logos existants et se fait remarquer avec ce sarcasme anti-commercial qui plaît à la jeune génération. Pas de no logo mais du more than logo. Récompensé par le prix CFDA (conseil des créateurs de mode américains) dans la catégorie créateur masculin en 2015 et fort du prix du jury LVMH lors de sa première édition en 2014 Shayne Oliver poursuit sa conquête.
Qu’est-ce que ça change ? Loin du créateur dans sa tour d’ivoire, Shayne Oliver fait partie d’une nébuleuse d’esprits créatifs dont il recrache les envies via le vêtement. Des silhouettes éparses, sans affiliation esthétique mais qui questionnent les acquis de toute une industrie. Comme d’autres labels, plus question de genre mais bien d’allure. Il ne s’agit plus de faire ce qui se fait mais de faire sensation avec des défilés présentés comme de véritables performances, incarnations de la pop culture actuelle. Cette approche business, tant décriée, est un atout. Shayne Oliver pense ses pièces pour une cible plutôt que de percevoir la mode comme une notion figée et sacrée. Une totale révision du système : le créateur prend le pouvoir de sa marque et interagit avec son public mais aussi ses équipes.
4 – Wanda Nylon
Qui ? Lauréate du grand prix de l’ANDAM en 2016, Johanna Senyk fait figure d’outsiddeuse avec sa marque Wanda Nylon, lancée en 2012. Impertinente, cabotine, avec son nom qui sonne comme un pseudonyme de danseuse de charme, Wanda Nylon a pour crédo de rendre le plastique très chic. L’art et la matière, la créatrice d’origine polonaise –qui a côtoyé les sœurs Olsen et Anthony Vaccarello– les maîtrise. Ce parti pris la distingue très vite. On se souvient en particulier de ses premières pièces travaillées dans des rideaux de douche du marché Saint Pierre à Paris. Puis Wanda Nylon s’affirme, renforce son esthétique, collabore avec La Redoute, et devient plus que légitime avec des collections imaginées autour d’une femme fatale contemporaine, en rouge ou/et noir, et d’une certaine insolence.
Qu’est-ce que ça change ? Le nouveau sexy, le retour de l’érotique ? Une tendance forte que décline Wanda Nylon avec beaucoup d’inventivité en déployant une créativité sans bornes autour de la recherche de matières. Du vinyle ou du cuir verni sur des silhouettes très graphiques, à mi-chemin entre le vestiaire fétichiste, les 90’s et les sixties, pour des vêtements de pluie qui se sont fait une bonne place au soleil. Mais ceux qui verraient dans son approche une dangereuse démarche mono-produit se méprennent. Dès 2014, en défilant clandestinement pendant la fashion week, Wanda Nylon propose toute une collection prêt-à-porter surprenante, destinée aux femmes de caractère. Avec cette prise de position radicale, Wanda Nylon se distingue de l’homogénéité parfois lassante observée sur les podiums.
5 – Vanessa Seward
Qui ? Pour les initiés, Vanessa Seward n’est pas une inconnue. Après l’école Studio Berçot, elle passe chez Chanel (10 ans quand même), chez Yves Saint Laurent pendant l’ère Tom Ford, puis chez Azzaro dont elle parvient à redorer le blason : la créatrice née à Buenos Aires en 1969 est tout sauf une novice. En 2014, après 6 collections capsules pour le très branché A.P.C, elle se lance en solo avec le soutien du fondateur visionnaire de la marque Jean Touitou. Son crédo ? Au-delà de l’évidence d’un chic à la française, elle pose les jalons d’une slow fashion, avec des intemporels sobres, dont le succès dépasse le cercle des modeuses parisiennes : on trouve des boutiques jusqu’à Los Angeles.
Qu’est-ce que ça change ? Loin d’être marginale, « Vanessa’s way » répond à la lassitude du consommateur d’une fast fashion cannibalisante. Elle propose une vision modérée du luxe. Un luxe tempéré, discret, sans ostentation et en phase avec les attentes d’une clientèle en quête de beau sans excès de logo. Comme un retour à la tradition d’antan, du rare, du très qualitatif, des matières précieuses, des coupes classiques mais soignées, des pièces aux antipodes du jetable, à marier à l’envi. Son coup de maître ? Parvenir à combiner cette philosophie de vêtements durables à des pièces fortes collector comme le jean personnalisable avec le nom de l’acheteur brodé où ses tee-shirts à message. Dans un océan tumultueux de tendances hasardeuses, Vanessa Seward impose une vision d’une élégance pérenne.